«Les arts sont régis en profondeur par un flot continu d’énergie et ignorent les progrès par accumulation qui gouverne les sciences. On n’y corrige pas d’erreurs, on y récuse pas de théorèmes».
Georges Steiner
Prolongeant un enseignement artistique créé à Liège par le Prince-Evêque Charles François de Velbruck en 1775, alors que la ville était toujours le siège d’un Etat indépendant, l’Académie Royale des Beaux-Arts assure la formation dans le domaine des beaux-arts dans la Cité ardente depuis sa création officielle en 1836.
Le texte et les photos qui suivent ont été affichés dans les couloirs de l’Académie à l’occasion des portes ouvertes 2018.
Crédit : Philippe Delaite
Les statues de l’ancien pont des Arches
Lorsque les pontonniers firent sauter le pont des Arches le 6 août 1914 afin de retarder l’avancée des troupes allemandes, les statues qui se trouvaient sur les piles proches des rives furent relativement épargnées. Quelques mois plus tard, en décembre 1914, la société Holzmann fut chargée d’enlever les débris du pont et de déplacer les statues pour les mettre à l’abri dans la cour de l’académie. Ces statues y sont restées jusqu’à leur installation sur les piles du nouveau pont en 1930.
Si le pont détruit en 1914 avait été inauguré par Léopold Ier le 28 octobre 1860, ce n’est qu’une quinzaine d’années plus tard qu’il fut garni de huit statues conçues par Prosper Drion et Antoine Sopers. Quatre d’entre elles, détruites en 1914, représentaient la Navigation, le Commerce, l’Agriculture et l’Industrie, les quatre autres proposaient des allégories de l’Ourthe et le Hoyoux du côté de l’Amont et de la Meuse, la Vesdre côté aval.
Ces statues, réalisées en pierre de Savonnières, devaient offrir une teinte chaude bien différente de l’habituel petit granit utilisé couramment dans nos régions.
Il y a 50 ans : mai et juin 1968
Si la contestation débuta à Nanterre le 22 mars, les manifestations et les grèves s’emparèrent de Paris durant le mois de mai et le mois de juin. A Liège, après une première réunion au Palais des Congrès fin mai, le mouvement ne commença véritablement qu’à partir de « l’assemblée libre » du 6 juin. Celle-ci se réunit à l’Académie dans la salle du réfectoire, occupée aujourd’hui par les ordinateurs de la classe d’infographie.
C’est là que fut décidée une occupation des locaux de l’école par les étudiants, c’est là que les premières revendications furent énoncées, c’est là aussi que fut votée la première « motion » :
– Contestation des autorités qui ne savent comment adapter le présent au passé et qui évitent de préparer l’avenir.
– Organisation d’un comité d’élèves et d’artistes qui devra participer à tous les jurys, y compris ceux d’examens (avec voix délibératives), aux concours pour l’octroi d’un poste de professeurs, aux commissions pédagogiques, aux rapports administratifs et au budget.
– Liberté et droits politiques à l’intérieur de l’Académie.
– Elèves et professeurs jetteront les bases des programmes à appliquer dans le courant de l’année.
– Création d’une coopérative et contestation des prix pratiqués par la menuiserie.
– Académie libre, ouverte à tous, avec la possibilité de travailler.
– Nous ne voulons pas être les outils dans une société que nous ne voulons pas !
– Ce n’est pas au moment où nous aurons notre diplôme sous le bras qu’il faudra changer la société. A ce moment-là, nous aurons des objectifs de bourgeois : gagner notre vie, élever notre famille, payer des contraventions, etc.
– Il ne faut pas que nous devenions les nouveaux « chien de garde » de la société !
– Il faut mordre et changer maintenant !
Georges Simenon et l’académie
Non, Georges Simenon n’a pas fait ses études à l’académie, cependant il parle de l’académie dans ses mémoires. Après ses journées à la Gazette de Liège, peu après la fin de la première guerre, il attendait rue des Anglais « Tigi » Renchon, sa future épouse, qui suivait les cours de peinture. Simenon fréquentait à cette époque de nombreux jeunes artistes et étudiants de l’académie à la « Caque », un lieu de rendez-vous situé près de Saint-Pholien. C’est à cette époque, avant qu’il n’émigre, à Paris qu’il a connu Lafnet, Mambour, Lempereur-Haut, Scauflaire, Bonvoisin…
Une « ambulance » à l’Académie
Lorsque fut signé l’armistice, le 11 novembre 1918, les troupes allemandes abandonnèrent leurs prisonniers détenus jusque là à la citadelle. Malades et blessés, ces prisonniers réclamaient des soins. Avec l’aide des autorités communales, dès le 18 novembre, la Croix rouge déplaça tous ces malheureux dans les locaux de l’Académie pour les soigner et leur permettre de se rétablir. C’est ainsi que notre Académie fut transformée en véritable hôpital de fortune, une « ambulance » de douze salles et sept cents lits. Les malades furent répartis dans des locaux distincts en fonction de leurs affections.
1159 soldats français, russes, italiens, portugais, allemands, anglais, serbes, grecs … furent ainsi soignés à l’Académie entre la fin novembre 1918 et février 1919.
« Hommage aux héros de la colonisation »
La grande toile qui occupe tout un mur de la cage d’escalier a été acquise à l’artiste par la Ville en 1929, cette peinture d’Albert Ciamberlani avait été commandée à l’artiste pour décorer une des salles du pavillon de l’Etat indépendant du Congo à l’Exposition universelle de Liège en 1905.
Une autre peinture, réalisée par Emile Fabry, décorait une autre salle du pavillon.
Si le nom de Ciamberlani est célèbre aujourd’hui c’est principalement pour la maison que lui a construit Paul Hankar au 46 de la rue Defacqz à Ixelles et qui figure parmi les réalisations les plus remarquables de l’Art nouveau bruxellois; Albert Ciamberlani (Bruxelles 1864 – Uccle 1956) s’était quant à lui fait connaître pour divers grands travaux de peintures à vocation monumentale pour le Musée d’Afrique centrale de Tervuren (1909-1910), l’Hôtel de Ville de Saint-Gilles (1910-1928), celui de Laeken (1918), pour les mosaïques des arcades du Cinquantenaire (1921-1923) ou encore pour ses décors du Palais de Justice de Louvain (1926-1932) et du Palais de Justice de Bruxelles (1948-1956).
La peinture de l’escalier de l’académie est une de ses premières grandes commandes publiques. Dans une gamme aux tonalités particulièrement retenues qui ne peut nous empêcher de penser aux réalisations en France de Pierre Puvis de Chavanne, Ciamberlani compose une œuvre qui correspond aux critères esthétiques de l’Idéalisme, un courant apparenté au Symbolisme, qui se caractérise par le recours à l’allégorie comme « représentation d’une idée morale par une réalité concrète qui en suggère l’idée », par de grandes décorations à vocation publique – l’important est de toucher le plus grand nombre – des paysages élyséens, peuplés de nus, qui n’expriment ni conflits, ni passions.
Les Concerts de Midi
Pendant la seconde guerre mondiale, Londres subissaient d’incessants bombardements nocturnes par l’aviation allemande. Les Londoniens étant cloîtrés chez eux, aucun spectacle n’était facile à organiser en soirée, des concerts de musique furent alors organisés sur les temps de midi. Après la guerre, cette idée fut reprise en Belgique, des concerts furent proposés à Liège dans une salle du musée utilisée jusque là pour exposer les plâtres de la collection appartenant à l’Académie. Cette salle fut même rebaptisée « Salle des Concerts de Midi ». Les auditeurs pouvaient se restaurer dans les salles du musée avant de venir assister au concert. Des centaines de concerts furent donnés entre 1949 et 1959.
La salle est aujourd’hui utilisée par l’Académie comme salle d’exposition et cafétéria.
Robertson, le « fantasmagore »
Curieux personnage que cet Etienne-Gaspard Robert, né à Liège en 1763 et décédé à Paris en 1837, élève de l’académie fondée par le prince-évêque Velbrück (l’ancêtre de notre académie), il s’est fait connaître sous le nom de Robertson lorsqu’il arriva à Paris et connut un formidable succès populaire avec des spectacles de projections lumineuses sur des écrans de fumée qui firent de lui un des lointains précurseurs du cinéma.
Robertson pratiquait la « fantasmagorie » : à l’aide d’une lanterne magique et grâce à ses qualités de peintre et il faisait apparaître des fantômes dans les salles obscures.
Il fut aussi un des premiers aéronautes de l’histoire.
Un bâtiment inauguré en 1895
C’est le dimanche 14 juillet 1895 que le nouveau bâtiment de l’Académie royale des Beaux-arts fut inauguré par le roi Léopold II. Depuis 1835, les cours se donnaient dans l’ancien hospice Saint-Abraham (situé en Feronstrée à l’emplacement de l’immeuble occupé aujourd’hui par le magasin Wibra), un bâtiment bien trop exigu pour accueillir les centaines d’élèves qui fréquentaient quotidiennement l’académie.
Le nouveau bâtiment, dessiné par Joseph Lousberg architecte de la Ville, fut construit sur un terrain qu’avait occupé auparavant le couvent Sainte-Claire.
Une Académie à Liège depuis 1775
C’est son Altesse « celcissime » le prince-évêque François-Charles de Velbrück qui créa à Liège la première académie ainsi qu’une école des « arts mécaniques » en 1775. Les deux écoles fonctionneront jusqu’à la révolution liégeoise en 1789. Quelques années plus tard, en 1795, Liège devenue française voit la création d’une « école centrale » comme dans d’autres grandes villes françaises. L’un des cours de cette école couvre « les arts du dessin ». Cette école disparaît en 1804, une autre verra le jour en 1808 : « l’Athénée des arts ». Celle-ci fermera ses portes en 1814 avec l’arrivée du général Czernicheff à la tête de la coalition combattant Napoléon. Passé sous régime hollandais, Liège voit la naissance d’une nouvelle école artistique : « l’Ecole gratuite de dessin » qui survivra jusqu’à l’indépendance de la Belgique et la création de l’Académie des Beaux-Arts en 1835 dont le peintre verviétois Barthélemy Vieillevoye fut le premier directeur.
En 1995, l’Académie fêtait un double anniversaire : les 220 ans de l’enseignement artistique à Liège et les cent ans de l’inauguration du bâtiment de la rue des Anglais. A cette occasion, de nombreuses expositions commémoraient dans tous les lieux d’exposition de la ville l’histoire de l’école, de ses professeurs et de ses étudiants. Deux livres furent publiés à cette occasion. Dans les prochains mois, avant la fin de l’année, un nouveau livre verra le jour.